HÉMATOLOGIE

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HÉMATOLOGIE

L’hématologie est la science du sang. Mais elle n’est pas seulement la science du sang, car avec le sang elle a pour objet les organes qui forment, les organes qui détruisent les éléments du sang. Elle n’est pas la science de tout le sang, car par convention certaines substances que le sang ne fait que véhiculer, sucre, urée, chlorures, ne lui appartiennent pas.

Bien que le sang, liquide rouge omniprésent, source de la vie, tienne dans toutes les médecines magiques ou primitives un rang majeur, l’hématologie est longtemps demeurée une discipline mineure. La première monographie est celle de Thomas Schwencke, Haematologia sive Sanguis historia , publiée à La Haye en 1743, et le premier traité véritable est écrit en 1843 par Gabriel Andral sous le titre d’Essai d’hématologie pathologique . Au XIXe siècle, alors que s’édifient la pneumologie, la cardiologie, la neurologie, l’hématologie reste ésotérique. Cette situation se prolonge pendant tout le premier tiers du XXe siècle. Puis soudain, par une heureuse concordance de progrès techniques et de l’ouverture de voies originales de la pensée scientifique, l’hématologie se trouve portée au premier rang. Elle inspire des recherches qui vont renouveler la médecine tout entière et, audelà de la médecine, l’anthropologie et l’ethnologie. Elle permet des applications pratiques et efficaces des données fondamentales.

La première définition biologique de l’homme, une nouvelle définition des populations, la naissance de la pathologie moléculaire, la première définition biochimique du terrain morbide, l’essor de la transfusion sanguine et les millions de vies sauvées, la connaissance des étonnants conflits biologiques qui pendant la grossesse opposent la mère et l’enfant qu’elle porte, la guérison de l’anémie pernicieuse, la découverte des fondements biologiques des greffes d’organes, celle des dangers des radiations, l’étude des leucémies, maladies pilotes de la cancérologie, l’étude des plaquettes sanguines laissant espérer la prévention des thromboses, tous ces accomplissements mesurent l’importance de l’hématologie moderne, l’étendue des domaines qu’elle gouverne, la diversité de ses méthodes. On examinera ici tour à tour l’hématologie fondamentale et les méthodes de l’hématologie.

1. Hématologie fondamentale

Définition biologique de l’homme

On peut comparer la surface des globules du sang à une mosaïque faite de pavés juxtaposés. Découvrir un facteur de groupe sanguin, un antigène de groupe sanguin, c’est identifier un des pavés de la mosaïque. Les premiers facteurs de groupe sanguin, les premiers antigènes connus concernaient les globules rouges: c’était le système dit ABO, découvert par Landsteiner en 1900, le système Rhésus, découvert par Landsteiner aussi, en 1939. Ces découvertes ont permis, la première, l’essor de la transfusion sanguine, la seconde, la compréhension, le traitement puis la prévention de la maladie hémolytique du nouveau-né. En 1952, observant un accident de transfusion sanguine survenu alors que donneur et receveur étaient, quant aux globules rouges, compatibles, Jean Dausset postule l’existence de groupes de globules blancs, indépendants des groupes de globules rouges.

L’existence de groupes de globules blancs est bientôt confirmée. Le nouveau système ainsi découvert est appelé HLA (Human leucocyte antigens - Antigènes des leucocytes de l’homme). Ce système comprend de nombreux sous-groupes. Il est d’une extrême complexité. On compte actuellement plus de 100 millions de combinaisons formées par ces sous-facteurs. Si l’on joint à ces antigènes leucocytaires les autres groupes sanguins connus (globules rouges, globulines, etc.), on arrive à cette conclusion que, depuis qu’il y a des hommes et tant qu’il y en aura, il ne s’en trouvera jamais deux pareils (réserve faite des jumeaux vrais). Chaque homme est biologiquement unique, différent de tous les autres. C’est autour du système HLA que s’organise la reconnaissance du soi et du non-soi, la défense du soi. Un petit fragment du sixième chromosome, maître de l’état civil et maître des armées, règle cette identité et cette défense. De même que les groupes de globules rouges gouvernaient la transfusion du sang, les groupes de globules blancs, les groupes tissulaires gouvernent les transplantations, les greffes d’organes.

Enfin, c’est l’appartenance à tel ou tel sous-groupe du système HLA qui explique (au moins pour une large part) l’inégale fragilité aux maladies, connue depuis Hippocrate, restée longtemps incompréhensible.

Déjà le premier exemple de définition biochimique de cette fragilité avait été apporté par l’étude du déficit en une enzyme des globules rouges responsable d’accidents provoqués par certains médicaments ou certains aliments, les fèves, par exemple. Mais, avec le système HLA, ces données ont pris une valeur générale. La prédisposition au diabète, aux rhumatismes, à certaines maladies digestives ou nerveuses peut être ainsi reconnue. Ces données tout récemment acquises et confirmées vont très probablement guider dans l’avenir la prévention des maladies.

Naissance de la pathologie moléculaire

On a longtemps cru que les globules rouges ne contenaient qu’une seule hémoglobine. Mais les recherches modernes ont montré la pluralité de cette substance. De très graves anémies héréditaires, raciales ou familiales, qui atteignent des millions d’hommes en Afrique, en Asie, en Amérique, en Europe méditerranéenne sont dues à la présence d’hémoglobines anormales. Dans la structure de chaque hémoglobine se trouve une chaîne rigoureusement ordonnée d’une centaine d’acides aminés. Le changement de place d’un seul acide suffit à provoquer l’anomalie de l’hémoglobine et, partant, l’anémie. Cette découverte est due à Linus Pauling. On a pu pour chaque hémoglobine anormale reconnaître l’acide manquant ou changé. Cette analyse établit une relation étroite entre la maladie et le désordre chimique. C’est de la position d’un des cent acides aminés que dépend la structure de l’hémoglobine et, éventuellement, une maladie mortelle. Ainsi se trouve à la fois définie et illustrée la remarquable conception de la pathologie moléculaire de Pauling. Les douleurs et les malaises, la fièvre, tous les tourments que souffre le patient, les hypertrophies et les atrophies constatées par le médecin, tous les désordres cliniques désignés sous le nom de maladies sont liés à des désordres biochimiques fondamentaux, à la constitution moléculaire des éléments qui forment la matière vivante. Cette conception neuve transforme profondément le raisonnement médical. À la méthode anatomo-clinique de Laennec vient s’ajouter une méthode que l’on peut appeler chimico-clinique. Il ne suffit plus de se représenter les lésions anatomiques responsables des troubles observés. Il faut aussi tenter de concevoir l’erreur bio-chimique qui engendre ce désordre; cette erreur peut être innée ou acquise, elle peut parfois être corrigée.

Les découvertes faites en hématologie, l’abord des problèmes médicaux au niveau de la molécule, ont assurément une valeur exemplaire, et l’on peut prévoir leur extension à de grands domaines de la médecine.

Hématologie géographique

L’anatomie, la physiologie, la pathologie du sang sont en relation d’une part avec les caractères ethniques et, d’autre part, avec les conditions écologiques qui définissent le milieu de vie (sol, air, climat, alimentation, infections et parasitoses). Longtemps, cette dépendance a été méconnue ou signalée seulement par quelques notes d’un pittoresque un peu facile. Mais l’étude de la répartition des groupes sanguins, des maladies de l’hémoglobine, des déficits d’enzymes, l’analyse des anémies alimentaires et de leurs conditions, une meilleure connaissance de la distribution des parasitoses ont apporté des faits nombreux, concordants: les lieux où un homme vit, et parfois les lieux où ont vécu ses ancêtres, règlent en partie l’état du sang. Ainsi est née l’hématologie géographique. Son importance est triple. Importance pratique d’abord, car le diagnostic d’une anémie est parfois d’emblée orienté, voire aussitôt assuré par la seule géographie. En deuxième lieu, et par un heureux retour, les données fournies par l’examen du sang peuvent faciliter la solution de problèmes d’anthropologie, d’ethnologie, car la fixité de certains caractères sanguins à travers les millénaires permet d’identifier les peuples à travers leurs migrations. Enfin et surtout, une des grandes faiblesses actuelles de l’hématologie générale parmi tant de progrès étant l’insuffisance des causes, l’hématologie géographique a une valeur exemplaire, car elle fournit des modèles d’hémopathies dont la cause ou au moins certaines conditions sont connues, des modèles d’hémopathies classées, en somme. Elle nous munit de modes de raisonnement, de méthodes d’enquête qui devraient, appliqués plus largement, permettre de nouveaux progrès.

L’hématologie géographique se partage en quatre branches: 1. Hématologie génétique ; 2. Hématologie péristasique; 3. Étude des relations entre l’inné et l’acquis; 4. Hématologie ethnologique.

Hématologie génétique

L’hématologie génétique est importante et originale. L’inégale répartition entre les races de caractères sanguins essentiels, normaux ou anormaux, est une donnée biologique fondamentale comparable à l’inégale répartition des pigments de la peau.

Les spécialistes de l’hémoglobine sont devenus géographes et explorateurs. Géographes et explorateurs d’une sorte particulière, qui allient, pour résoudre leurs problèmes, la biologie moléculaire à l’histoire des migrations humaines et aux cartographies modernes. Lorsque les mouvements de population se sont produits à une époque récente, les solutions sont aisément trouvées. L’étroite identité des limites actuelles de l’hémoglobine E et des frontières antiques de l’empire khmer a été maintes fois signalée. Bien plus, deux importantes maladies de l’hémoglobine, l’anémie à globules en forme de faucilles (drépanocytose) et l’anémie méditerranéenne (thalassémie), les deux premières connues aussi, ont été l’une et l’autre décrites d’abord en Amérique avant d’être retrouvées dans leur continent, sur leurs rivages originels. Mais de sérieuses et grandes difficultés persistent. Comment lier la drépanocytose éparse de la forêt indienne et la drépanocytose massive d’Afrique? En admettant des migrations aux périodes protohistoriques d’un foyer vers l’autre, en acceptant l’existence de foyers autonomes, en se ralliant à l’hypothèse d’un foyer initial yéménite d’où sont parties des migrations vers l’est et vers l’ouest? La grande aire actuelle de la thalassémie, dont le grand axe s’étend de Tanger à Canton, demeure mystérieuse: naissance en Chine et propagation vers l’ouest, le long de la route de la soie et des caravanes, ou à une époque plus haute; naissance en Grèce et extension vers l’Inde, au fil des conquêtes d’Alexandre; existence indépendante de foyers méditerranéens et chinois, existence en Asie Mineure d’un foyer initial commun.

La découverte de liaison entre l’état de l’hémoglobine et d’autres caractères ethniques fondamentaux (morphologie, etc.), la découverte des codes génétiques qui gouvernent la molécule d’hémoglobine rendent compte des mécanismes qui déterminent ces deux maladies héréditaires. L’interprétation, au sein des populations mêlées, des métis divers à plusieurs hémoglobines devient possible et, sur un plan plus élevé, une contribution peut être apportée, par la voie de l’hémoglobine, à certaines questions primordiales de l’anthropologie.

Dès la découverte des premiers groupes sanguins et de leur hérédité, leur distribution à travers les populations fut étudiée. Les premières enquêtes ne révélèrent que des différences modérées. C’est avec le facteur Rhésus que les grandes inégalités de répartition apparurent. Les conséquences de ces inégalités sont importantes; pour l’anthropologie et pour l’ethnologie d’abord; pour la pratique médicale aussi. Ainsi, au Mexique, les migrations des époques préhistoriques ou protohistoriques des populations amérindiennes venues d’Asie, l’arrivée aux époques récentes d’émigrants basques font voisiner le groupe humain le plus pauvre en individus Rhésus négatif avec le groupe humain qui compte le nombre le plus élevé d’individus Rhésus négatif. L’étude des nouveaux groupes sanguins montre que certains d’entre eux, comme le facteur Diégo, sont particuliers à des populations définies (Mongols d’Asie orientale, Amérindiens du Venezuela), éclairant de lointaines migrations.

Ces premières données ont été élargies, fortifiées par le grand courant de recherches anthropologiques inspiré par le système de groupes de globules blancs, dit HLA. La complexité de ce système en fait un remarquable instrument de travail. Ainsi, au concept ancien de races se substitue le concept de populations. Populations remarquables par leur diversité, par cette inégale répartition des divers groupes sanguins, par un profil propre à chacune d’entre elles. Ainsi a pu être affinée, précisée, l’étude des grandes migrations humaines, celle des Indo-Aryens, celle des Normands, celle des Amérindiens venus d’Asie.

Hématologie péristasique

L’environnement, c’est d’abord le sol qui nous porte, l’air que nous respirons. Peu de documents témoignent d’une relation entre la nature du sol, la présence de tel minéral et l’état du sang. Pourtant, la polyglobulie des bovins qui, en Australie, paissent sur des terres riches en cobalt illustre de façon significative le rôle du milieu ambiant.

Mais ce sont surtout les radiations ionisantes qui retiennent l’attention. Elles sont responsables des anémies graves, des leucémies frappant les ouvriers maniant les minerais radioactifs, les physiciens, les premiers radiologues, les Japonais victimes des bombes atomiques. Des mesures de protection efficaces (en dehors des guerres) ont été mises au point. Le développement des centrales nucléaires doit avoir pour corollaire une très grande vigilance. Les recherches en cours s’efforcent de préciser le rôle éventuel des radiations telluriques.

La polyglobulie chronique de l’altitude, ou maladie de Monge, a fourni un des premiers exemples, peut-être le premier, d’une maladie sanguine liée à la géographie, liée au lieu où l’homme vit.

L’inégale répartition des ressources alimentaires sur la surface du globe, la géographie même des carences alimentaires doivent être connues de l’hématologiste. Certes, il n’est pas toujours facile de préciser les responsabilités respectives des parasitoses et des carences observées dans les mêmes populations. Mais le rôle que jouent à l’origine d’anémies variées les insuffisances alimentaires en vitamines du groupe B, en protéines, en fer n’est pas douteux. Ces anémies dites nutritionnelles atteignent dans la zone intertropicale des dizaines de milliers d’individus. Un traitement correct les guérit. Une répartition équitable entre les peuples des aliments essentiels devrait un jour les prévenir.

On ne doit pas oublier cependant que d’autres causes s’imbriquent avec les carences, pour provoquer des hémopathies. Il en est ainsi des parasitoses. Une anémie indienne, indonésienne, vénézuélienne est presque toujours due à des parasites intestinaux (ankylostomes), aux carences alimentaires, ou à ces deux causes associées. Une grosse rate avec hypertension de la veine porte conduit, en Chine méridionale ou au Brésil, à évoquer, avant tout, une autre parasitose, la schistosomiase. Une éosinophilie sous les tropiques ou au retour des tropiques a tant de chances d’être parasitaire qu’il est peu raisonnable d’envisager d’autres causes. Ces quelques exemples montrent assez l’importance des parasitoses et de leur géographie en hématologie. Il ne suffit pas d’avoir une notion vague et statique des aires de ces parasitoses. Il est fondamental de savoir les détails de leur répartition et leurs mouvements, d’être informé des avances et des reculs du paludisme, de bien connaître les divers territoires des diverses filarioses, de suivre l’extension géographique de parasitoses nouvelles ou apparemment nouvelles comme la toxoplasmose, responsable d’états ganglionnaires bénins, fréquents en France, au Danemark, au Chili, longtemps ignorée ou presque en Argentine, ou encore l’histoplasmose, responsable de maladies ganglionnaires graves, répandue sur tout le continent américain, ignorée en France.

Les données qu’on vient de résumer sont à la fois utiles et incomplètes. L’hématologiste, même amoureux de cartes et d’estampes, demeure insatisfait. Il est, certes, important de connaître les aspects divers des services d’hématologie, ceux d’Athènes, encombrés de thalassémiques condamnés, ceux de Delhi où les enfants anémiques tombés à trois grammes d’hémoglobine, cachectiques, misérables, guérissent lorsqu’on traite parasitoses et carences, ceux de Pékin où chaque visiteur se voit demander s’il connaît un traitement nouveau de l’anémie par insuffisance de la moelle osseuse.

Il est plus important encore de progresser. Plusieurs voies sont en cours d’exploration. L’application de nouvelles techniques permet de connaître d’autres types d’hémoglobine et, surtout, de nouveaux déficits enzymatiques. Les enquêtes géo-hématiques, c’est-à-dire celles qui s’efforcent de préciser les rapports sol-sang et, surtout, les rapports entre les radiations telluriques et le sang, doivent être poursuivies dans les zones les plus variées et fondées sur des éléments statistiquement valables. Les coutumes des populations doivent être examinées avec le soin le plus attentif; peut-être l’inégale fréquence, selon les pays, de la leucémie des enfants dépend-elle souvent de la différence des mœurs, de l’accouchement à la maison ou à l’hôpital, de l’allaitement au sein ou au lait de vache, de l’introduction précoce ou tardive, au sevrage, de la première farine, des premiers aliments crus.

Englobant des domaines très divers, utilisant des disciplines disparates, biologie moléculaire, enzymologie, radiobiologie, physiologie de la nutrition, parasitologie, virologie, l’hématologie géographique trouve son unité du côté de la prévention. Il est maintenant possible de préciser les dangers de l’union de deux porteurs partiels d’une hémoglobine anormale, de donner les listes des médicaments et des aliments interdits aux sujets enzymoprives, de déterminer certaines limites topographiques de l’effet des radiations, d’orienter efficacement la lutte contre la faim, contre les parasitoses nocives pour le sang. Pour mesurer l’importance de cet effort d’épidémiologie et de prophylaxie, on retiendra que les porteurs de tares hémoglobiniques ou enzymatiques, victimes des radiations, des carences, des parasites, c’est-à-dire les êtres humains qu’étudie l’hématologie géographique, se comptent par dizaines de millions.

L’inné et l’acquis

L’hématologie géographique est aussi une méthode, en quelque sorte un outil, permettant d’étudier l’un des problèmes fondamentaux de la biologie et de la médecine. Quelques exemples en témoigneront:
1. Dans certaines populations d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, du bassin méditerranéen, existe une anomalie héréditaire: l’absence d’une des enzymes d’un des ferments des globules rouges. Cette enzyme n’est pas nécessaire au fonctionnement habituel des globules rouges. Mais que survienne l’ingestion de certains médicaments (sulfamides, primaquine, etc.), de certains aliments (fèves), le défaut héréditaire a des conséquences graves, une anémie, qui, profonde, peut être mortelle. D’où des applications pratiques, le dépistage des hommes fragiles, les préventions, mais aussi des réflexions plus générales. Le défaut d’enzymes existait probablement depuis plusieurs millénaires dans les populations concernées sans conséquence. L’introduction de nouveaux aliments, de nouveaux médicaments révèle une faiblesse longtemps inoffensive.
2. Les anomalies de l’hémoglobine sont héritées tantôt d’un parent, tantôt des deux parents. Héritées des deux parents, elles engendrent des maladies graves généralement mortelles dans l’enfance. Tel est le cas de l’hémoglobinose S, qui atteint les populations noires. On trouve ainsi en Afrique des personnes ayant hérité de leurs deux parents, l’hémoglobine normale A (A.A.), des personnes ayant hérité des deux parents l’hémoglobine anormale S (S.S.), des personnes ayant hérité l’hémoglobine normale A d’un des parents, l’hémoglobine S de l’autre parent (A.S.).

La persistance d’une anomalie si grave, que la sélection naturelle aurait dû depuis longtemps éliminer, a surpris. L’explication a été apportée par Allison. L’hémoglobine S protège contre le paludisme. Les populations S.S. meurent d’anémie grave, les populations A.A. sont exposées à mourir de paludisme. Les populations A.S. sont protégées contre le paludisme et n’ont pas d’anémie. Ainsi est pour la première fois apportée, contre les théories racistes, une preuve biologique de l’avantage des métis.

Hématologie et culture. L’hématologie ethnologique

La relation entre hématologie et culture a été reconnue dès les premiers travaux d’hématologie géographique. Ainsi en Asie du Sud-Est, les hématologues étudiant la répartition de l’hémoglobine E, hémoglobine du peuple cambodgien, les archéologues étudiant les ruines des temples du temps d’Angkor, s’accordent à fixer les mêmes limites au grand empire Khmer du XIe siècle.

Des données plus précises ont été apportées ultérieurement. Ainsi au Liban, l’étude de sept populations appartenant à des confessions différentes (maronites, orthodoxes, ch 稜’ites, sunnites, etc.) a montré un «profil hématologique» particulier à chacune de ces sept populations. L’endogamie, conséquence de l’appartenance à une confession définie, est responsable de ces profils particuliers.

L’étude dans le Sud-Ouest de la France des populations basques a montré une étroite homologie entre la géographie des caractères sanguins propres aux Basques d’une part, et d’autre part l’onomastique, la survivance du droit pré-romain, tel le droit d’aînesse intégral (non limité aux garçons).

Il ne s’agit là que de travaux préliminaires. Les recherches qui se poursuivent confirmeront très vraisemblablement l’importance des voies ainsi ouvertes. D’étroites relations vont être établies entre hématologie, géographie, histoire.

Hématologie comparée: hématologie expérimentale

Les globules rouges adultes des oiseaux ont conservé leur noyau alors que les globules rouges humains ont perdu le leur. Les globules rouges sont ronds chez l’homme normal, ovales chez certains malades, mais normalement et constamment ovales chez les camélidés, chameaux, dromadaires et lamas. Les globules rouges falciformes sont observés d’une part dans le sang d’hommes victimes d’une grave maladie de l’hémoglobine et, d’autre part, dans le sang normal de grands cervidés, wapitis, élans, orignaux. L’hémophilie canine est analogue à l’hémophilie humaine: même transmission par les mères conductrices et saines, même atteinte élective des jeunes mâles. Ces quelques exemples qu’on pourrait multiplier illustrent l’intérêt de l’observation du sang des animaux.

L’hématologie comparée et l’hématologie expérimentale ont cependant connu leurs plus féconds développements grâce aux recherches sur les leucémies.

Dès 1908, Ellerman et Bang à Copenhague découvraient le virus responsable de la leucémie des poules. Cette grande découverte oriente depuis le milieu du XXe siècle presque toutes les recherches sur le cancer. Plus récemment, des épizooties de leucémies bovines et porcines ont été décrites, et leur géographie a été précisée.

En laboratoire, de remarquables efforts de sélection ont permis d’obtenir par croisement frère-sœur sur plusieurs générations des familles de souris de lignée pure dont tous les membres sont identiques. L’incidence des leucémies varie d’une famille à l’autre mais est, toutes choses égales, constante dans une famille donnée. Il devient alors possible d’étudier dans des conditions rigoureuses l’influence des facteurs les plus divers (radiations, agents chimiques, alimentation) de telle sorte que ces souris exemplaires sont devenues des modèles pour l’étude des leucémies humaines. Modèles trop parfaits peut-être, trop éloignés de l’homme malade.

2. Méthodes de l’hématologie

Hématologie clinique

Des quatre opérations de la clinique traditionnelle – inspection, palpation, percussion, auscultation –, c’est de loin l’inspection qui est la plus importante en hématologie.

L’hématologiste doit, comme un peintre, reconnaître et interpréter sur la peau, sur les muqueuses, les diverses nuances du blanc: le blanc de linge des anémies par troubles de formation des globules rouges, le blanc verdâtre (d’où le vieux nom de chlorose) des anémies par manque de fer, le blanc tirant sur le jaune des anémies par destruction des globules rouges. L’augmentation du nombre des globules rouges rougit les téguments et, selon la maladie en cause, cette rougeur est écarlate ou mêlée de bleu virant au violet. Sur la peau se voient les taches de sang appelées purpura: leur forme, leur distribution varient selon les causes.

Les tuméfactions des ganglions lymphatiques, si fréquentes au cours des maladies du sang, déforment le cou, les aisselles, les aines, symétriquement ou asymétriquement, également ou non, selon les cas. Par cette première approche attentive et patiente de son malade, l’hématologiste aura déjà recueilli de précieuses informations. Il va enrichir son bilan par deux ordres de méthodes: examens permettant l’étude des cellules, examens d’exploration des fonctions du sang, des organes qui le forment et le détruisent.

Hématologie cellulaire

L’hématologiste, entre tous les médecins, jouit d’un remarquable privilège. Il peut à tout moment, en prélevant une goutte de sang, examiner le tissu dont il a charge de prévenir ou de corriger les variations. Ce privilège est singulier. Pour le rein, pour le foie, des prélèvements ne peuvent être faits qu’une fois, deux fois. Pour le cerveau, pour le cœur, ce type d’exploration reste exceptionnel. Pour le sang, l’examen peut être répété; il est en fait répété plusieurs fois chaque jour.

Ainsi l’hématologie est pour une large part liée au microscope. Une des premières applications du microscope est, en 1674, la description par Leeuwenhoek des éléments qui forment le sang, de globules ronds et petits véhiculés par «l’humidité cristalline de l’eau». Chaque progrès de la microscopie suscite les progrès de l’hématologie. Ces progrès de la microscopie se sont trouvés associés depuis plus de cent ans à deux autres progrès: l’apparition des méthodes de coloration des cellules du sang, la possibilité d’étudier pendant la vie, non seulement les cellules sanguines, mais aussi celles des organes formateurs de sang, moelle des os, rate, ganglions.

Pendant plus de deux cents ans, après la découverte de Leeuwenhoek, les observateurs examinent le sang sans artifices. Ils décrivent à côté des globules rouges les globules blancs puis les plaquettes sanguines. À la fin du XIXe siècle, deux progrès importants surviennent:

– l’emploi de pipettes à prélèvement d’un volume connu et de liquides de dilution permet la numération globulaire, c’est-à-dire le comptage des globules de chaque classe présents dans un millimètre cube de sang;

– les procédés de coloration différentielle dus à Erlich mettent en valeur les caractères propres de diverses formes cellulaires, et surtout des globules blancs ou leucocytes, permettant de préciser les pourcentages respectifs des différentes variétés de globules blancs et d’établir ainsi la formule leucocytaire.

Depuis une centaine d’années, numération globulaire et formule leucocytaire sont entrées dans la pratique médicale courante et rendent de très grands services non seulement pour le diagnostic des maladies du sang, mais aussi en médecine et en chirurgie, car les changements du nombre, de l’équilibre des globules du sang viennent éclairer le diagnostic de nombreuses maladies, notamment les maladies infectieuses. Un troisième progrès essentiel se rattache à l’étude des organes hématopoïétiques: les globules du sang sont fabriqués par la moelle des os, la rate, les ganglions. Entre 1930 et 1940, on apprend à retirer de ces organes, à l’aide d’un trocart, un minime fragment de tissu, qu’il est possible de colorer comme les cellules du sang. L’étude comparée des tissus hématopoïétiques et du sang s’est révélée extrêmement féconde. Elle a prouvé la fréquence des leucémies qui restent cachées dans les organes et n’entraînent pas d’augmentation des globules du sang. Elle a reconnu les changements de la moelle qui définissent l’anémie pernicieuse; elle a précisé les diverses formes des insuffisances de la moelle osseuse et leur évolution. Hémogramme, myélogramme, splénogramme, adénogramme sont les noms donnés respectivement à l’examen du sang, de la moelle, de la rate, des ganglions. L’hémogramme et le myélogramme sont également nécessaires lors de l’examen d’un patient atteint d’une affection sanguine. Avec les colorations d’Erlich, on étudie les globules immobiles, fixés; une autre méthode, la microscopie à contraste de phase, employée couramment après 1950, montre les cellules vivantes, mobiles, libres. La microcinématographie à contraste de phase découvre, en vitesse naturelle, en ralenti ou surtout en accéléré, la vie elle-même, les mouvements individuels de chaque type de globules. Elle n’est pas employée en médecine courante, mais est devenue un des instruments les plus précieux de la physiologie sanguine. Dans le même temps, la microscopie électronique modifie profondément les conditions d’observation des cellules du sang et des organes formateurs. Les microscopes électroniques peuvent obtenir un grossissement de 109. Une nouvelle cartographie de la cellule est rendue possible. L’architecture d’organelles intracellulaires que le microscope optique laissait tout juste apercevoir peut être décrite avec détails. Exploit remarquable, le microscope électronique a atteint l’échelle moléculaire. De grosses molécules comme celles de la ferritine ont pu être vues dans les globules rouges de certaines anémies. La structure de ces molécules est celle qu’avaient prévue les chimistes. Ainsi est née une nouvelle discipline, l’anatomie chimique.

Hématologie physiologique

Longtemps l’hématologie s’est contentée d’être cellulaire. L’introduction en médecine des techniques de marquage isotopique a transformé cette hématologie statique en hématologie active. Il est dès maintenant possible d’apprécier la dynamique des populations cellulaires, et l’on entrevoit les relations qui existent entre la structure des cellules sanguines et leur genèse.

Les isotopes radioactifs du fer et du chrome, avec lesquels on marque les globules rouges, permettent de les suivre de leur naissance à leur mort. On peut alors mesurer la quantité de globules rouges produite dans un temps donné, reconnaître les insuffisances en nombre ou en qualité, les excès de cette production. On peut compter les jours de la vie d’un globule rouge, préciser les facteurs globulaires ou extraglobulaires responsables du raccourcissement éventuel de cette vie. On peut surprendre le lieu normal ou anormal de la mort des globules et en tirer des conclusions thérapeutiques, par exemple l’ablation de la rate s’il s’agit d’un excès électif de destruction des globules rouges dans cet organe.

On a pu de même marquer les globules blancs et les séparer en deux populations: l’une collée aux parois des vaisseaux, l’autre en mouvement; marquer les plaquettes sanguines et tirer aussi de leur séquestration par la rate d’utiles mesures de traitement; marquer enfin les constituants chimiques du plasma tels les protéines, le fibrinogène, et suivre leur destin.

Un des objectifs majeurs de la biologie moderne est de saisir les relations existant entre la structure des cellules et leurs fonctions. L’hématologie offre ici encore des modèles privilégiés. Le globule rouge jeune ne contient pas d’hémoglobine; il est possible d’étudier à l’échelle moléculaire les règles, le code qui contrôlent la formation de l’hémoglobine. Certains globules blancs fabriquent certaines albumines, certaines protéines du sang, particulièrement les anticorps qui interviennent dans l’immunité. En combinant des techniques raffinées d’électrophorèse, de microscopie en fluorescence, il est désormais possible de préciser le lieu, le mode de formation chez les sujets sains et chez les malades de ces protéines, de ces anticorps, c’est-à-dire de mener très avant l’interprétation des phénomènes d’immunité.

Il ne suffit pas de dresser une cartographie correcte des organites intracellulaires, ni même de commencer à traduire en langage moléculaire la structure de chacun d’entre eux. Il faut aussi reconnaître leurs fonctions, les échanges, les trafics moléculaires qui se font entre ces divers organites et qui expriment ces fonctions. Comme l’a justement indiqué M. Bessis, la situation des spécialistes contemporains de la cellule est comparable à celle des anatomistes du XVIe siècle, qui figuraient sur leurs planches des organes statiques sans concevoir la circulation sanguine qui les liait; puis vint W. Harvey. De même on connaît de mieux en mieux, à l’échelle moléculaire, la circulation intracellulaire. Et, on possède les méthodes qui vont faire progresser cette connaissance: bombardement des cellules par les rayons du laser qui, en détruisant un seul organite, peuvent révéler sa fonction, mise en œuvre de méthodes multiples que l’on combine entre elles, par exemple immuno-fluorescence et autoradiographie en microscopie électronique.

L’étude des globules blancs et leur physiologie illustre l’importance de ces progrès. Les globules blancs assurent la défense du soi et luttent contre les agresseurs, soit en les dévorant (phagocytose, macrophagie), soit en les poignardant (lymphocytes tueurs), soit en les fusillant à distance par les anticorps qu’ils sécrètent, soit en les accablant de calomnies par les messages transmis de cellule en cellule.

L’étude des plaquettes sanguines, de leurs altérations au cours de certaines maladies héréditaires a reconnu des liens précis entre les différents composants de la paroi plaquettaire (appelés glycoprotéines) et les diverses fonctions (adhérence au vaisseau, agrégation) qu’assument les plaquettes. Ainsi est éclairé le mécanisme des thromboses, ainsi que leur traitement, et on envisage leur prévention.

Parce que les cellules du sang peuvent être aisément prélevées, parce que leur étude nécessite l’emploi des procédés microscopiques les plus raffinés, parce que les cellules jouent un rôle essentiel dans les grands processus de la vie et surtout dans la défense de l’individu, l’hématologie tient dans ce domaine, comme dans quelques autres, la place d’une discipline de pionniers.

hématologie [ ematɔlɔʒi ] n. f.
• 1803; de hémato- et -logie
Didact. Branche de la médecine consacrée aux maladies du sang et des organes formateurs du sang.

hématologie nom féminin Spécialité médicale qui étudie le sang, les organes hématopoïétiques et leurs affections.

hématologie
n. f. MED Branche de la médecine qui étudie le sang sur le plan histologique, fonctionnel et pathologique.

⇒HÉMATOLOGIE, subst. fém.
MÉD. ,,Science qui a pour but l'étude du sang, de tous ses composants et de leurs altérations pathologiques`` (Méd. Psychanal. 1971). Ses journées étaient dures, et il avait besoin de ses soirées pour préparer son concours des hôpitaux; mais il se sentait, ce jour-là, peu de goût pour l'hématologie (MARTIN DU G., Thib., Belle sais., 1923, p. 825).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1803 (BOISTE). Composé de l'élém. hémato- (héma-) et du suff. -logie.
DÉR. Hématologique, adj. a) Qui est du ressort de l'hématologie (peut être le deuxième élément d'un mot composé type séro-hématologique, s.v. séro-). b) Qui concerne les altérations pathologiques des composants du sang. Actuellement ces produits ont essentiellement été utilisés dans les affections tumorales hématologiques (R. SCHWARTZ, Nouv. remèdes et mal. act., 1965, p. 185). []. 1re attest. 1910 (BRUMPT, Parasitol., p. 115); du rad. de hématologie, suff. -ique.
BBG. — QUEM. DDL t. 4.

hématologie [ematɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1803, in D. D. L.; de hémato- (→ Héma-), et -logie.
Didact. Branche de la médecine consacrée à l'étude et au traitement des maladies du sang et des organes formateurs du sang.
DÉR. Hématologique, hématologiste ou hématologue.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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